La préservation vidéoludique

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Je pense que vous êtes sans doute nombreux⋅e à avoir entendu parler ces derniers temps de ce qui s’est passé avec le jeu The Crew d’Ubisoft, et les soucis qui en ont découlé. De nombreuses vidéo en parle mieux que je pourrais en parler ici, tel que la vidéo de MattKC sur le sujet (et sur celui dont je vais parler).

Pour faire rapide : The Crew était un jeu de voiture d’Ubisoft, qui avait une petite communauté de joueur⋅euse, et qui a été rendu indisponible entièrement par Ubisoft le 1er Avril dernier. En effet, les services ont lignes ont été coupé, et les licences des joueur⋅euses pour y jouer ont été complètement révoquées, rendant le jeu indisponible même pour les personnes l’ayant acheté.

Cela a provoqué le lancement d’une pétition contre ça, la pétition “Stop Killing Game”. Cette pétition vise à amener à la création de loi pour interdire de rendre inaccessible des jeux commercialisé lorsque le support prenant fin, en créant un patch permettant l’accès aux fonctionnalités hors ligne lors de la fin du support d’un jeu.

Pour moi, ceci fait partie d’un soucis plus large, la manière dont une grosse partie des industries du divertissement et du logiciel se dirige vers devenir de + en + des industries de services. De plus, cette propention au remplacement constant possède un impact écologique non-nul, parce qu’il affecte aussi le hardware.

Un soucis global

Le premier point que j’aimerais mettre en avant est que c’est un soucis global, qui dépasse l’industrie du jeu vidéo. L’accès aux oeuvres (notamment de pop culture) passe de plus en plus vers un système de licence d’utilisation et non d’achat d’une copie de l’oeuvre, et le JV ne fait que répliquer ça.

Une des choses que l’on a remarqué est que les gamers ont l’habitude, un peu comme avec les DVDs, à posséder leurs jeux. C’est le changement de paradigme qui doit arriver. Ils sont devenu à l’aise avec le fait de ne plus posséder leur collection de CD et DVD. C’est une transformation un peu plus lente à arriver dans le jeu vidéo. […] Il s’agit de se sentir à l’aise avec ne pas posséder vos jeux. – Philippe Trembley, propos rapporté par Christopher Dring, dans l’article “The new Ubisoft+ and getting gamers comfortable with not owning their games” sur GamesIndustry.biz

Cette citation indique pour moi bien qu’il s’agit d’un phénomène global : de plus en plus, pour accéder aux musiques, films, séries, jeux… on peut de moins en moins acheter, et de plus en plus on doit passer par des services, et le but est de faire accepter ça avec quelques avantages. Dans la partie coupée de la citation, Philipe Tremblay parle de retrouver sa sauvegarde, entre autre.

Dans tout les cas, de plus en plus, on se retrouve avec cette situation ou on achète des produits que l’on ne possède pas vraiment, ou on paie des abonnements pour utiliser plutôt que d’acheter. Cela fait que l’accès au produit peut à tout moment être perdu. Outre The Crew dans le jeu vidéo, d’autres exemple peuvent être obtenus :

  • Microsoft en fermant son magasin de ebook à rendu des tas de livres indisponibles par la coupure de son service de DRM. C’est un risque qui existe pour la plupars des DRMs et des grandes plateforme de vente. De nombreux jeux des années 2000 ont souffert aussi de cela, comme le montre cette vidéo de Tech Tengeant
  • Depuis la fermeture de Comixology, des tas de comics ne sont plus achetable qu’avec DRM, voir visiblement uniquement depuis les applications (par exemple si on achète un comics sur le site d’IDW, on ne peut pas le télécharger, que le lire depuis l’application ou le site). Pareil pour izneo, qui permet d’acheter des BD, mais lisible que depuis le site.
    • D’ailleurs, dans le cas de Comixology, lors de la fermeture du site et son remplacement par une page dans Amazon, tout les comics non-téléchargé sont devenu indisponible en téléchargement légal sans DRMs, devenant un nouveau marché fermé
  • Il n’est quasiment pas possible d’acheter de film sans DRM, et la plupart du temps ils ne sont carrément lisible que depuis l’application du store qui le vend.
  • Dans le cas des abonnements, les plateforme d’abonnement peuvent encore plus à tout moment rendre indisponible des oeuvres parce qu’elles n’ont pas été assez rentable, et que c’est vu comme plus rentable de simplement les retirer

C’est quelque chose qui a été critiqué par la campagne Defective par Design, ou l’ancienne campagne “Fck DRM” lancé par GOG (qui a depuis commencé à accepter les DRMs dans son store dans quelques cas, tel que les jeux limitant une partie de leur contenu au online) et l’Electronic Frontiers Foundation

On est donc pour moi dans un combat ancien, celui de l’accès aux oeuvres. The Crew est un nouvel exemple du danger que produit les DRMs, de pouvoir à un moment tout simplement tuer une oeuvre à coup de kill-switch. Et avec le streaming et autres oeuvres consultable que depuis le site ou l’application, c’est encore plus vrai.

Cela ne veut pas dire que la pétition n’est pas une bonne chose : elle s’attaque à un des pendant spécifique du problème, qui est le DRM de type “il faut les services en lignes pour que le jeu marche”. Se concentrer sur l’un de ces sujets et faire des loi spécifique peut aussi permettre de mettre un pied dans la porte pour potentiellement réussir à petit à petit éroder les DRMs

Vers une industrie de service

En plus du fait d’être global au monde de l’art, c’est pour moi une indication qu’une grosse partie des industries veulent se diriger vers le service. Office 365, Photoshop, etc… veulent passer de plus en plus à des souscriptions. Un des workaround pour démarrer Windows sans créer de compte Microsoft a été supprimé.

Le soucis du service, c’est que plus ou avez besoin de chose, plus vous payer en permanence pour tout vos outils. Et à cela s’ajoute du coup les oeuvres auquels vous voulez accéder. 6€/mois pour Netflix semble peu, mais si les films qui vous intéressent sont sur netflix (6€/mois avec pub et accès incomplet), Disney+ (6€/mois avec publicité), Amazon Prime (6,99€/ans, mais faut payer en plus certaines chaines), potentiellement le gamepass (14,99€/mois) pour les jeux vidéos, deezer ou spotify pour la musique (11€/mois)… le prix monte vite, surtout si on veut des accès complets. Et on doit continuer à payer tant qu’on veut avoir accès aux films qui nous intéressent. Et si on commence à rajouter quelques outils dont on pourrait avoir besoin, ça grimpe toujours.

Et le soucis c’est que comme tout le monde veut sa part du gateau, cela ne fait qu’augmenter au fur et à mesure, et cela réduit énormément la flexibilité de l’utilisateur. De plus, ces applications se basent aussi sur des dark patterns, et profitent des oublis de se désabonner : la charge est plus grande pour arrêter de payer que pour continuer à payer.

Et c’est pour ça que cette situation est encore plus inquiétante. Parce qu’au final, la coupure de The Crew c’est aussi ça. En effet, si The Crew n’est plus disponible, une suite existe depuis 2018, The Crew 2, et un des effets de l’annulation du premier est que sa suite devient un “remplacement”, comme une nouvelle version de logiciel, forçant à repasser à la caisse non pas uniquement pour les qualités intrasèque du nouveau, mais pour pouvoir perpétuer l’expérience.

L’accès aux oeuvres

Je vais ici passer vite sur cette partie, parce que j’en ai déjà un peu parlé dans plusieurs articles : Parlons un peu d’émulation et Sa place n’est pas dans un musée, où j’avais exprimé le soucis que pleins de jeux ne sont plus disponible (mais sous d’autres angles).

Pour faire bref : Cette “obsolescence vidéoludique” est aussi augmenté par un autre aspect qui est la spéculation sur les vieux jeux, et le fait que ne ressortent que les jeux les plus populaires, souvent sans vraiment même les faire vivre, ou avec des soucis de qualités. Cela fait que 87% des jeux vidéos classiques ne sont plus disponibles (ici : en nouvelle vente). De plus, comme j’en ai parlé dans le premier article, la spéculation fait que les jeux classiques sont de plus en plus cher.

De plus, il faut se rappeler que cette obsolescence ne touche pas que les œuvres, mais aussi certaines machines nécessaire pour les utiliser. La 3DS et la Wii U ont perdu tout son online, rendant des tas de jeux acheté non-disponible sans le store. Toutes les “mini-console” échouée ont perdu leur store depuis longtemps. Et les PS5 Pro et XBox Series S risquent de devenir des briques quand leur store sera abandonné.

Certains jeux disparaissent donc petit à petit, étant de moins en moins accessible.

L’aspect écologique

Outres les impactes en terme d’accès aux oeuvres, en terme d’effet économique sur les utilisateur⋅ices, un dernier impact à prendre en compte est un écologique. En effet, pour maintenir ce genre de chose, plus de ressources sont nécessaires pour un effet néfaste.

Si dans le cas de The Crew, la connection internet constante était justifiée tant que l’équipe voulait le maintenir, forcer les connections internet constante rajouter de l’utilisation de réseau, de ressources, etc. Ainsi que la nécessité d’avoir de l’autre côté des serveurs pour tout gérer. Si ce n’est pas (loin de là) le plus gros de l’utilisation des resources d’un jeu, on peut se demander si gacher des resources pour verrouiller un jeu est utile. C’est encore plus vrai avec le streaming qui force un flux de donnée constant à chaque fois que l’on souhaite regarder la vidéo (ou jouer aux jeu dans le cas de cette idée désastreuse qu’est le cloud gaming).

A cela s’ajoute les potentiels impacts de performance des DRMs, ceux de Denuvo étant par exemple souvent accusé d’avoir un impact, même s’il n’est pas toujours clair si c’est Denuvo ou la manière dont il est implémenté. Si ce genre d’impact est avéré (comme certains comparatifs semblent dire, tandis que d’autres semblent plus mitigés), cela peut faire que cela pousse les joueur⋅euse à avoir des machines plus puissantes, ce qui se combine avec déjà des soucis d’optimisation du monde du gaming PC.

L’obsolescence des machines décrites plus haut est sans doute dans ce contexte le plus grave : Les consoles tout-numériques non-maintenue risques de devenir des déchets éléctroniques, participant à polluer la planète.

C’est face à tout cela que l’ont peut se demander “que faire ?”.

Comment faire autrement ?

Je pense tout d’abord que soutenir ce genre d’initiative à combattre les DRMs ou les destruction de jeu à la manière que pour The Crew est important. Faire pression est une partie importante de la vie politique, et ce même sur les sujets moins d’importance (Même si ce sujet est moins grave que la recrudescence de haine que l’on subit, la monté des fascistes et tout, il est important de ne pas laisser de côté ces sujets moins graves : il ne faut pas laisser de terrain aux entreprises et autre pour décider ce que notre monde doit être).

Je vais diviser cette partie en deux aspects : ce que j’estime qu’on devrait forcer les entreprises à faire, et ce que j’estime est quelques possibilités qu’on a pour nous protéger.

Niveau des entreprises

Voici ce vers quoi pour pour moi on devrait pousser le plus possible les entreprises à faire.

En premier lieu : Arrêter les DRM. Les DRMs n’ont pas d’effets positifs sur les jeux ou autre oeuvres, et se font cracker rapidement. Au final, les personnes les plus punies par un DRMs sont ceux qui achètent légalement. Plus précisément, il faudrait pousser pour faire en sorte qu’on puisse acheter des oeuvres dans des versions sans DRMs (en plus des autres potentielles méthodes, genre streaming etc), qu’on peut utiliser librement comme quand on achète un DVD, un livre, une BD. Et c’est vrai pour tout. On devrait pouvoir acheter des livres, des BD, des séries, des films, des jeux, etc… et avoir un fichier qu’on peut regarder sur son ordi, sur sa télé, garder dans un coin et continuer à regarder même si le service tombe.

Cela devrait aussi contenir les vieilles oeuvres qui ne sont plus publiées, pour qu’elles ne deviennent des objets de spéculations qui les rendent inaccessible à ceux qui ne sont pas prêt à mettre une somme ridicule. Le cas échéant, elles ne devraient pas pouvoir se plaindre du piratage, et leur création devraient être vu comme abandonware.

De plus, je suis assez d’accord avec la pétition cité plus haut : les jeux nécessitant des accès internet devraient être le plus possible en fin de vie patché de manière à permettre un support collectif, pouvoir être joué hors ligne ou via des serveurs privés.

Il est à noter qu’il existe des jeux qu’il est encore possible de jouer en ligne, alors qu’ils ne sont plus soutenus depuis des années. De nombreux jeux utilisent des connections par IP, peuvent se connecter sur des serveurs privés, ou au plus utilisent un “Master Serveur” pouvant être remplacé.

Et évidemment, des loi devraient être faite pour combattre l’obsolescence matérielle. Forcer l’ouverture des anciennes machines, rendre plus facile les efforts comme pretendo, le hshop, les revival de la OUYA : ces efforts sont en plus de permettre à des anciens jeux d’être joué des actions écologiques, qui permettent à empêcher ces machines de devenir juste des déchets éléctroniques alors qu’elles sont en parfait état de marche.

À notre niveau

Qu’est-ce qu’on peut faire pour se protéger le plus possible de ces problèmes ? Ici, mon idée n’est pas de dire “ce que vous devez faire”. Ce n’est pas aux utilisateurs de porter la responsabilité des agissements des grandes corporations (c’est pareil que passer sous Linux contre les agissement de Microsoft : c’est une manière potentielle de s’en protéger, mais aller exiger des gens qu’ils fassent ça est absurde et néfaste). L’idée est de vraiment proposer quelques pistes pour pouvoir s’en protéger le plus possible. Et malheureusement, j’ai pas de solution pour si vos jeux préféré ont vraiment besoin tout le temps de online, à part participer à la lutte en espérant que ça améliore ça.

Mais sinon, si possible, voici quelques pistes que j’ai :

  • S’il existe une version sans DRM achetable, essayer de préférer cette version peut améliorer la situation. Je sais que j’ai télécharger une partie des jeux retro auquel je joue sur GoG, pour ensuite les utiliser avec dosbox. Je récupère les roms de tout mes jeux retro utilisant de l’émulation aussi.
  • Idem, essayer de supporter les petit⋅es créateur⋅ices et oeuvres similaires qui ne contiennent des DRMs. Je pense que soutenir les artistes qui agissent selon nos convictions est une bonne manière en plus de découvrir de nouvelles oeuvres. L’ancien site FckDRM de Gog contenait pas mal de sites à visiter, et j’hésite à en faire un remake moderne.
  • Cracker nos jeux/ebook/etc, même si on les a acheter, peut potentiellement nous protéger de soucis similaire. Je retire les DRMs de tout les ebook que j’achète dès que possible, idem quand j’achète une BD sur izneo, j’utilise izneo-get pour la récupérer en version epub qui n’a pas besoin du site/de l’appli. - Parfois, le piratage est le seul moyen d’avoir une version de l’oeuvre qui restera.

Conclusion

La préservation vidéoludique n’est qu’une partie d’un soucis plus large de la préservation de l’art populaire. C’est quelque chose qui demande des efforts, et les efforts qui aident le plus sont des efforts illégaux de piratage et conservation des oeuvres. Cela ne devrait pas être le cas.

Je vais sortir le vieux refrain, mais c’est en grande partie la faute du capitalisme à outrance, qui est à fond dans l’idée de récupérer le plus possible de rendement le plus vite possible. La préservation, c’est mettre de l’argent dans quelque chose qui pourrait devenir concurrent de leur création actuel. Et même si cela ne provoquera pas de baisse significative, y’a de forte chance que même quelques ventes en moins, ce soit vu comme étant un soucis. Quand on voit Warner qui a annulé des films pour avoir des réductions d’impôts, les entreprise qui se phagocytes les unes les autres, on est vraiment pour moi dans un irrespect complet de la création et des créatifs.

Dans l’idéal, on devrait sanctionner les entreprises qui font ça. Même si j’espère que la pétition apportera quelque chose, j’ai du mal à y croire. Pour l’instant, le mieux qu’on peut faire, c’est tenter à notre niveau de lutter, participer aux actions collectives, mettre en avant les alternatives, et briser comme on peut les veroux numériques.

Ce n’est pas parfait, mais c’est ce qu’on a.