Small tech et passéisme

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J’ai remarqué que pas mal de site qui m’avaient intéressé ces derniers temps avaient une vibe “retrouver l’ancien internet” : le portail Ytoo, le site Sheezy.art qui est un successeur de deviantART avec le retour de la customisation et le rejet de l’abus des IA partout (qui ont complètement envahi dA), et souvent le fediverse que j’aime bien est vu non pas comme “faire mieux que les réseaux sociaux existant” mais par trop de gens comme “revenir à Twitter avant Musk” (alors que Twitter avant Musk… disons que c’est pas pour rien que Musk a pu prospérer aussi grâce à Twitter). On retrouve aussi ça chez neocities (retour d’un geocities-like), le “retour” des blogs, le “retour” des forums, etc.

Il y a donc un aspect sur internet : recherche de ramener d’anciens services que l’on avait aimé à un moment (même si dans les faits, les blogs et les forums ne sont jamais morts). Du coup, une question que je me pose est : quel sont les limites de ce point de vue ? Est-ce que cette posture peut poser soucis ? Est-ce que cette posture est véritablement un “absolu” ? De plus, si on parle beaucoup (notamment ici) de merdification, est-ce que ça veut dire que c’était génial avant ? Je pense que cette question se pose en grande partie parce qu’il est important que tout n’étais pas tout rose sur “l’ancien internet”.

On a souvent tendance à se dire que “l’internet moderne” est devenu pire qu’avant sur tout les aspects, et du coup à regarder un peu avec des verre teinté l’internet d’antant, ce qui conduit à deux erreurs fondamentales pour moi.

Je tiens à dire que le but de cet article n’est pas de dire que ces sites dont je parle sont passéistes, mais plus de mettre en garde contre une posture qui peut exister sur le sujet, et réfléchir à comment on peut conjuguer l’intérêt pour ce qui était bien avant, sans tomber dans ce passéisme.

L’internet d’avant était peu accessible

Une première erreur qu’on fait souvent je trouve est d’avoir cette image d’Épinal ou tout le monde avait un blog ou un truc comme ça, chacun était sur les forums et tout… mais déjà à l’époque, même si on était plus nombreux sur ces supports, c’est une erreur de croire qu’on représentait “l’expérience commune” d’internet. La customisation, la création de ses propres lieux sur internet et tout étaient aussi surtout fait par des petits groupes de passionnés, et peu de gens avaient les connaissances pour faire “leur propre site”. C’est pour cela que je pense qu’il faut éviter la croyance que “tout à chacun pouvait créer son site”. Il y avait une marche, et je pense que c’est un des premiers points sur lesquels on s’est amélioré : même si créer un site (même simple) est plus complexe, l’accès aux ressources s’est amélioré.

De plus, les notions d’accessibilités pour les personnes handicapées s’est amélioré aussi globalement. S’il y a toujours de nombreux sites qui ne sont pas accessible, et si on est en deçà ce qui faudrait possible, une grande partie d’internet utilisait des hacks pour créer la structure de l’écran (genre des tableaux pour positionner les éléments), la dimension sémantique était bien moins présente (voir complètement absente), et il y avait moins de travail et de reconnaissance de ces questions par rapport à aujourd’hui. C’est en grande partie grâce aux luttes de personnes handi que ça s’est amélioré un peu.

C’est d’ailleurs comme ça que les gros services internet, les GAFAMs et tout on réussi à gagner du monde, à gagner en puissance : ces services étaient plus simple d’accès, moins “technique”, avaient souvent une meilleur accessibilité… Souvent en grande partie du au simple fait d’avoir plus d’argent et de capacité de dev, mais aussi en grande partie parce que y’avait une plus grande recherche de cela.

Trolling et haine

Pour moi, un second truc à débunk est l’idée que les réseaux sociaux seraient en eux-même la “source” des soucis de trolling qu’on y voit. Si l’interconnection, et la manière dont les réseaux sociaux mettent en avant les contenus qui provoquent de l’engagement (et donc souvent les disputes), ont fait que les réseaux sociaux ont amplifié de nombreux de ces phénomènes, leur source se retrouvent aussi dans la culture d’internet ancienne. Les “Trolls Internet” datent des BBS (les ancêtres des forums), les termes de flamewar, le besoin d’une netiquette, etc… sont des choses qui reviennent régulièrement depuis les débuts du web et du net.

Le soucis est essentiellement humain, et une question de modération, et de ce que les trolls ont à gagner. Twitter faisait gagner beaucoup aux contenus à troll, et la suppression de toute modération sérieuse par Musk à amplifié le phénomène. L’abandon d’une partie de la population de usenet l’a rempli de troll d’ED aussi. Et y’avait beaucoup de parti du web qui étaient moins modérés (tandis que d’autres l’étaient plus, notamment maintenant on a l’arrivé de technologie prévue explicitement pour ne pas avoir de modération, tel que les RS basé sur cette stupidité absolue qu’est la blockchain).

Et cela se retrouve dans quelques “sites à l’ancienne”, qui explicitement se positionne en étant anti-modération (souvent sous le prétexte d’être “anti-censure”), et en laissant trainer des discours d’extrème-droite. Quelques “youtubes à l’ancienne” sont tombé dedans et ont subis des invasions de contenus crasse de trolls qui chouinaient de pas pouvoir le faire sur youtube (alors que y’en a des tonnes sur youtube).

A noter cependant que les anti-censure n’utilisent pas que l’axe du “retour à l’ancien internet”, et parfois se vantent de représenter le futur. On trouve ça aussi dans les produits blockchains (l’idée même de web3 était de se présenter comme la future itération d’internet) et pas mal des trucs techbros, qui mélangent cette idée passéiste que “aujourd’hui les méchant woke détruisent le monde” et se présente à la fois comme “le futur”.

Éviter le passéisme

C’est pour cela que pour moi, il faut faire attention au passéisme, et penser que juste parce que y’a une volonté de “revenir vers un internet à l’ancienne”, cela reviendra vers un meilleurs internet. Le soucis de tomber dans l’idée que “si c’était comme avant, c’est mieux”, penser qu’il faut absolument revenir à une technologie à l’ancienne, outre le fait d’entrainer de la nostalgie pas toujours bien placé (désolé, mais MSN avait la plupars des mêmes soucis que Discord, tel que le feature creep, et s’est enshittifié au fur et à mesure).

C’est pour cela qu’il faut toujours se poser plusieurs questions : - Quelle partie de “l’ancien web” le service veut mettre en avant ? - Concrètement, qu’est-ce que va apporter ce service ? - Qu’est-ce que du web moderne le service va reprendre ? - Est-ce que le service va avoir une vrai politique pour éviter les abus qui peuvent exister sur internet ?

Si le discours est de revenir à un age d’or ou la “méchante censure” n’était pas là, il y a de forte chance que la plateforme va être envahie par des trolls et l’extrême droite. Si le but est de ramener un aspect customisé, et d’y combiner une importance de l’accessibilité, une bonne modération, et de profiter des avancées technologiques modernes. Un excellent exemple pour moi est Sheezy.art. Le site ramène la customisation d’un deviantART et une partie de son expérience, mais est plus intuitif, à une meilleurs accessibilité, et gère mieux certains concepts plus moderne tel que les Content Warning, les Indicateur de Tons, etc.

Le site mélange les petits aspects qui manquent de l’ancien web, tout en y mettant des points plus avancées de certaines communautés plus récentes et les intégrant à l’expérience. Et je pense que c’est l’aspect important. Ce qu’il faut créer est une amélioration du web, qui apportent quelque chose de nouveau, et rejette les points d’enshittification.

Il est à noter que pour moi “juste avoir du fun avec un truc nostalgie” est quelque chose de tout a fait pertinent à vouloir ramener des vieux services : un projet comme Escargot.chat qui recréer MSN est tout a fait fun et pertinent.

Et sur le plan tech ?

Sur le plan tech, je pense qu’il est important de se concentrer surtout sur l’objectif, et prendre ce qui aide le plus suivant les cas. Pour moi, l’objectif de la Small Tech est surtout de produire des technologies qui seront : - Plus légères, chargeant plus rapidement et étant du coup plus agréable à utiliser - Moins gourmand en énergie et en ressources, permettant de tourner sur des plus petites machines qui demandent moins d’énergie pour tourner

C’est ce que j’aime pas dans des projets comme suckless (des outils informatiques visant le plus petit possible taille d’executable et tout), c’est que la volonté derrière le projet est en grande partie d’avoir un aspect “élitiste”. Le minimalisme n’est pas un outil pour atteindre un objectif (qui serait de créer des produits consommant moins), mais devient un but en soi, une sorte d’indication de pureté.

Le minimalisme doit être un outil menant à une fin.

Conclusion

Pour moi, il faut éviter de regarder la Small Tech et le Small Web sous l’angle du “c’était mieux avant”, et mieux vaut les regarder sous l’idée d’un objectif, de créer des technologies à une échelle plus humaine et offrant plus de liberté aux utilisateurs. De plus, il faut bien cibler quels aspects des technologies récentes posent soucis, et comment les dépasser (par exemple, pour ma part, c’est le spam IA et tout ce qui est blockchain et NFT qu’il faut combattre pas mal, parce que ça pollue littéralement internet). Il faut aussi éviter de trop

La small tech, le small web, doivent être un outil à une fin, une manière d’offrir des alternatives aux grosses machines muent par des immenses logiques commerciales, dirigées par des milliardaires souvent rétrogrades, et un moyen de combattre l’idéologie des techbros qui est que “le progrès” est égal à “plus de financiarisation et de pouvoirs accordés aux grosses entreprises surpuissantes” (comme avec l’IA par exemple). Parce qu’au final, pourquoi ce serait eux qui définissent le progrès ? Qui dit que le progrès devrait être “des réponses automatiques souvent fausses, faites sur des vols massifs de donné” ? Des sites générés automatiquement qui publient les résultats avec des arnaques, du dropshipping et d’autres moyens de tenter de faire le plus d’argent possible ?

Je pense qu’il est important de tous à notre niveau de bien définir la notion de progrès, parce qu’il y a une volonté de certains groupe de le définir de manière à arranger leurs gains commerciaux. Mais c’est un sujet qui mériterait son propre article.

Et évidemment : créer des “recréation” de vieux services n’est pas un soucis ! Que ce soit pour recréer une expérience qu’on a aimé, où par envie d’avoir un peu de nostalgie, etc… C’est comme le retrogaming : il y a du bon dans ce qui existait avant, et vouloir recréer des anciens services, que ce soit en les améliorant ou juste en ayant le fun de retrouver du web un peu à l’ancienne, est aussi source de créativité.

Tout les services que j’ai nommé, ytoo, sheezy.art, etc… tout ces services sont pour moi quelque chose de positif et fun. Le but n’est pas de taper sur le old-web, juste qu’il ne doit pas tomber dans une posture passéistes du “tout était mieux avant”, et faire attention à ceux qui veulent voir ces projets comme un retour un “retour au web ou tout était permis”.

Miniature : l'écran d'accueil de Geocities (récupéré sur WebDesign Museum)