Les « quatre libertés » et le copyleft ne suffisent pas

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Un article qui a beaucoup tourné et fait réagir est celui de Ploum sur le besoin d’avoir « plus de Stallman ». Si je ne vais pas épiloguer sur le soucis le plus évident de mettre autant en avant Stallman qui reste une figure extrêmement toxique, j’aimerais parler un peu je trouve d’un soucis sous-jacent dans son analyse sur les soucis lié à Meta dans le Fediverse et autres sujets du genre :

Dire que la réponse se trouve dans le copyleft.

En effet, je pense que le copyleft n’est pas suffisant pour garantir les libertés individuelles et les droits des utilisateur⋅ices, et ce pour plusieurs raisons. Si je pense que le copyleft est nécessaire sur de nombreux points, je pense que dire « The solution has always been there: copyleft » pose quelques soucis, pour ainsi dire, et que le copyleft doit être mis dans une perspective plus large que juste le logiciel libre.

Mon but n’est pas ici de dire que Ploum pense que le copyleft suffisait, je parle ici plus d’une vision globale qui existe dans le logiciel libre, et que dire que le copyleft « est la solution » possède des soucis dans l’approche.

Yep, les capitalistes aiment pas le copyleft

L’un des arguments est le fait que les entreprises capitalistes détestent le copyleft… et c’est vrai. Cela limite leur possibilité. Ils se retrouve obligé d’ouvrir le code source qu’ils ont, et ça les fait chier. En plus, le code source que nous on fait, en tant que communauté, il peut pas être réutilisé dans un produit sous licence « permissive » (à comprendre « permissive à être utilisé dans un logiciel pas libre ») et ça les fait encore plus chier ça leur faire moins de travail gratuit (c’est de là que vient d’ailleurs toute l’origine du fork LibreOffice : une absence de confiance en Oracle qui fait qu’un fork a été fait sous licence libre, faisant que les contributions dans libreoffice ne pouvaient pas arriver dans OpenOffice).

Et en vrai : je suis d’accord sur le fait que les copyleft (que j’utilise allègrement) sont un outil très pratique contre les corporations, en faisant du code plus difficilement récupérable pour leur produit capitaliste. Cependant, tout ça, c’était avant les SaaS.

Un facebook copyleft resterait toxique

Il est tout a fait possible dans un produit sous copyleft de faire en sorte d’avoir une emprise énorme dessus. L’Open Source corporate peut être tout a fait compatible avec le copyleft, s’ils l’utilisent bien. Parce qu’ils peuvent faire en sorte de nous empêcher de l’utiliser par d’autres moyens que la licence. Dans son article, il dit que « Without Non-copyleft Open Source, there would be no proprietary MacOS, OSX nor Android. There would be no Facebook, no Amazon. »

Well, c’est à la fois vrai et faux. Un MacOS « copyleft open-source » pourrait exister, en jouant sur d’autres aspects. On voit déjà que le mélange « open-source+pas+open-source » peut exister : rien que sur Ubuntu, faire un vrai concurrent à Snap est difficile, non seulement du à l’aspect « closed source » du snap store en lui-même, mais aussi à sa place dans l’ecosystème snap. Ubuntu vient avec un snap qui est lié au snap store, pour avoir ça différemment faut faire un package alternatif, le distribuer, faire que les gens le connaissent, etc. Certes, les nerds comme nous auraient une alternative, mais est-ce libre ? Mac-OS pourrait faire totalement la même chose. Un MacOS ou seul l’App Store serait dans les paquets par défauts, et ou le contrôle de la distribution serait fait serait toujours un jardin fermé. Pouvoir le recompiler dans son coin ne voudrait pas dire grand chose, quand il n’est pas possible d’ajouter un autre store. Et même dans ce cas : Flatpak permet d’ajouter le store qu’on veut, mais si Google décidait de faire un « flatpak store » sous son contrôle, il bénéficierais d’une avance énorme pour avoir des tas d’applications que les gens veulent, et se rendrait indispensable. Ensuite, si on rajoute en plus les cas ou une distribution peut avoir des logiciels propriétaires, on se retrouve dans le même cas qu’Android : Android est entièrement open-source, mais même sous GPL, les services android pourraient exister pour qu’il verrouille uniquement la partie qui l’importe. Ils pourraient même les rendre accessible à tous. Parce que même des tonnes d’outil GPL sont utilisé à l’intérieur de services propriétaires, juste avec un petit zip planqué sur leur site disant « voilà les sources des outils open-sources utilisés ».

Du côté des services c’est pareils : avoir accès au code d’Amazon ne nous permettrait pas de le contrer, et ne l’empêcherait pas d’exister. Pareil pour Facebook. L’argent que se font ses entreprise se fait avant tout sur l’exploitation de travailleurs sous-payé pour Amazon, et sur Facebook par l’exploitation de nos données. Et cela ne contrecarrait pas leur pouvoir de marque, l’emprise qu’ils ont déjà eut. Et s’ils avaient été dès le début avec du code libre. Et bien, il y aurait eut la sacro-sainte « concurrence » du capitalisme, et au final on aurait toujours un oligopole à la fin. En droit, ce serait un bien commun. Dans les faits, tu utilises leur service ou tu es seul dans ton coin. Parce qu’au final, même si le code devenait un bien commun, ils feraient comme pour tout : Ils se l’approprierait, trouverait des astuces pour qu’il ne bénificie vraiment qu’à eut, profitant notamment des biens physiques ou limités ou du grand classique du capitalisme : le contrôle des moyens de productions.

Contrer la privatisation des communs doit passer par quelque chose de plus large que le copyleft. Et par une véritable étude de la première liberté, pour contrer un de ses soucis.

Et je pense qu’on arrive là à un des soucis de FSF : si elle a déjà une approche ou elle critiquait des aspects autre que le respect du copyleft (par exemple les liens entre Ubuntu et Amazon), elle est plongée bien trop dans une culture logicielle et légaliste, et outre Stallman qui a beaucoup décrédibilisé son propre mouvement avec ses attitudes oppressives et ses aggressions contre d’autres membres du mouvements (il a participé à précipiter Mono entre les mains de Microsoft), la vision trop technique et logicielle de la FSF à grandement participé à créer la situation actuelle, avec une vision du logiciel libre comme licence libre et code accessible. Je pense que l’approche « légaliste » et « licence » est une partie du soucis qui fait ça. Parce que cela créer une discontinuité entre ce qui est dit et ce que peut vraiment faire le logiciel. Parce que si la FSF critique Amazon, etc. sur la récupération de données et tout, son approche légaliste ne donne pas de vrai outils, qui doivent être des outils de lutte politique – ainsi que des alliances avec des groupes qui seraient les alliés naturels du logiciel libre et qui en aurait besoin (les minorités opprimées).

De la première liberté

Et en plus des soucis inhérent au contrôle du code, j’aimerais venir sur un autre point : la première liberté du logiciel libre.

The right to use the software at your discretion

On arrive déjà à un soucis pour moi : il nous faut plus que le copyleft pour ça. Un premier cas extrêmement évident pour les gens que je suis sur Mastodon me vient tout de suite à l’esprit : l’accessibilité. C’est bête, mais rendre le logiciel vraiment utilisable de n’importe quelle manière ne compte pas que la notion de rendre le logiciel disponible à tout⋅e⋅s, d’avoir un copyleft, etc. Cela comporte aussi la notion de faire un effort explicite pour rendre ces logiciels disponibles à tous. Créer des moyens pour qu’on puisse l’utilisé alors qu’on est handicapé, à la fois visuel, mais aussi moteur (un truc souvent oublié, voir tourné en dérision, comme quand des gens se moquent des boutons plus large du bureau GNOME en disant que c’est fait pour ceux « ne savant pas cliquer »…), cognitif, etc.

C’est pour cela que le travail sur les interfaces, les travaux de design ont une grande importance dans le logiciel libre, et pourquoi le retard que nous avons souvent est un soucis. Et c’est là d’ailleurs ou on arrive à une attitude qui me dérange pas mal, presque RTFM-esque, avec certain⋅e⋅s fan de libre (parfois même queer ou très éclairés sur de nombreuses luttes sociales, et les premiers à remarquer les soucis chez les fameux « techbros » dans leur solutionnisme technologique), qui gardent un préjugés très négatifs sur les utilisateur⋅ices galérant ou ne sachant pas. Qui, malgré toute leur bonne volonté, vont tomber dans le piège de croire que ceux qui n’y arrivent pas n’ont « jamais essayé ».

Cela me fait dire qu’il y a un autre point à combattre notre communauté cet a priori vis à vis de la tech que leur expérience est celle nominale, canonique. Cette croyance, au fond de nous, que quelqu’un qui n’y arrive pas « n’a pas essayé », « aurais du lire le manuel » voir est de mauvaise fois. Je l’ai vu pas mal notamment sur Mastodon, et parfois ça m’a dérangé pour connaître des gens qui ont été rendu confus par l’interface de Mastodon – ne comprenant pas tout de suite le concept d’instance. Et on arrive à un second truc qui me dérange, la justification de ne pas tenter de créer des possibilités plus simple, plus compréhensible, par le fait qu’on « a pas besoin de croissance »/ »de succès ». Et si je suis complètement d’accord avec cette seconde phrase en soi (oui, le but n’est pas de devenir le meilleurs dresseur comme personne avant nous), elle me pose soucis quand elle est utilisée de cette manière. Parce que si nous ne devons pas avoir pour but de grandir à tout pris, il est important je pense que tenter de rendre nos alternatives le plus faciles d’utilisation aux gens qui en ont besoin – notamment à tout les défavorisés, tout les opprimés.

Et je pense que cette attitude héritière du fameux « RTFM » (Read The Fucking Manual) fait beaucoup de mal au logiciel libre, et aux alternatives.

Conclusion

La liberté du logiciel libre ne doit pas être vu que sous nos œillères de geek. Et le combat contre les services propriétaires doit être plus total qu’à travers juste le prisme du logiciel libre – ou de l’interopérabilité, rendre Threads interopérable ne résoudra pas les soucis inhérant à Threads (qui n’a pas besoin des deux autres E pour être une menace, rien que l’Embrace devient un danger pour toutes les petites communautés se trouvant dans le fedivers).

Je pense qu’il nous faut le copyleft. Il nous faut aussi une vrai perspective anticapitaliste. Une vrai perspective de vision du logiciel libre comme un outil d’émancipation, éthique, antikyiarchique, comme une vrai alternative au monde des corporation.

Elle comporte encourager les licences libres, elle comporte encourager les communs. Cependant, elle comporte aussi de questionner certaines tendances qu’il y a dans le libre. Tel qu’une vision « licence is law » presque aussi problématique que le « code is law » très techbro, que l’on voit dans le « mais ils ont le droit » dès qu’on critique le fait de laisser l’extrême droite ou autre utiliser pour leurs produits (genre Truth Social, ou Soapbox de Gleason). Certes, il n’est pas possible d’interdire totalement des services fascistes d’utiliser du code libre… mais on peut faire en sorte que ce soit clair qu’ils ne sont pas les bienvenus, et surtout pas leur facilité la vie. Et lutter activement contre eux.

Et il faut une véritable lutte politique pour cela, alliant le fait de penser aux droits des utilisateurs, aux respects des communs, aux oppressions que ce logiciel combat ou permet, et à s’il construit ou non un monde meilleur. La défense des communs n’est qu’une partie du combat. Une partie importante, mais qui doit faire partie d’une approche globale, ou on se questionne aussi la place du logiciel, et où on a un objectif constant de rendre des choses utilisables même par les personnes qui n’ont pas une forte « culture informatique ».

Ah et je reprécise hein : Fuck RMS, l’idée peut exister sans qu’on ai besoin de glorifier ou de mettre en avant le mec. Et le soucis le dépasse, il y a depuis longtemps côté FSF et GNU (la FSFE est plus saine sur ce genre d’aspect) des tendances toxiques qui posent soucis au mouvement dans son ensemble, tel que les délires sur l’église de GNU, le Emacs vs VIM, et toutes les volontés de purisme qui font trop retomber parfois la faute sur les utilisateurs plutôt que d’avoir une véritable approche politique de la chose. Ce qui est d’autant plus triste qu’ils parlent déjà de concept comme l’aliénation.

Et je pense qu’au final tout ces aspects sont liés. Le purisme, et la manière dont Stallman peut s’accrocher sont lié au manque d’une véritable approche politique de la FSF, qui du coup laisse passer des comportements très problématique et qui tombent dans une glorification du leader plutôt qu’une vrai approche avec un idéal politique où le dirigeant n’est pas ce qui est mis en avant.

( A noter que je ne dis pas que Ploum faisait partie de se groupe sur son article : je pense qu’il s’agit plus d’une maladresse commune et je veux bien croire la bonne fois quand il dit qu’il voulait encourager l’idée et pas la personne.

Le fait d’avoir ici quand même fait l’identification personne-idée revêt d’un soucis culturel classique de personnification des idées par la personne la plus connue à les avoir énoncées. )

Source de la miniature : A gnu, in South Africa, de Steve Evans.