Le web indépendant et le web collectif

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Depuis ces dernières années, un constat est de plus en plus fait : une grande partie de notre activité se concentre de plus en plus en quelques sites internets et applications. Des gros services qui centralisent une partie de notre activité qui étaient avant fait via des sites réparties sur la toile (blogs, sites personnels, etc) et via des protocoles. Cette hyper concentration veut même s’augmenter avec OpenAI, Bing et Google qui veulent tenter d’utiliser des modèles de langage pour squeeze la partie « recherche » et tenter de donner des réponses toutes faites.

Cette consolidation n’est pas nouvelle, c’est un processus qui a commencé dès les années 2000, avec la création de sites de plus en plus gros, et de services centraux. Ça s’est amplifié avec l’arrivée de l’internet mobile, avec l’arrivée des gros réseaux sociaux, et cette année nous avons vu de nouvelles attaques via twitter et reddit qui ont décidé de fermer leur API aux clients tiers.

Le but de cet article est donc de réfléchir au web indépendant, de voir ce que nous avons déjà, et de voir ce qu’il nous faut en plus. Cet article fait un peu suite à mon article « Hors de Twitter 2 – Ode aux sites personnels » que j’ai fait en janvier, qui donne des pistes pour faire un site personnel (sans forcer à l’auto-hébergement) et pour suivre des sites sans utiliser de réseaux sociaux. Cependant, j’aimerais aller plus loin que l’idée simplement de « web indépendant », et explorer plusieurs manière de le faire.

Le web indépendant, c’est quoi ?

Par « web indépendant », nous entendrons ici tout site web qui n’est pas dirigé par une grosse corporation, ou par une entité commerciale puissante. Il est décrit de la manière suivante sur le site IndieWeb :

L’IndieWeb est une alternative au ‘web corporate’ axée sur les personnes.

On peut se dire qu’il y a un certain flou, est-ce que le site d’une petite librairie/maison d’édition (genre l’Atalante à Nantes) compte comme du web indépendant ? J’aurais tendance à dire que « plutôt oui » en partie parce que certains de leur points de vue sont positif pour un internet libre (leurs livres numériques sont généralement sans DRM par exemple) et qu’ils ne sont pas une entreprise prédatrice tendant de croitre et contrôler plus de part du web à tout prix. Cependant, d’autres personnes verront d’un mauvais œil l’idée qu’un site commercial puisse faire partie d’un web « indépendant ».

Je pense qu’une des erreurs est de ne voir le web indépendant que comme le web personnel. Si le web personnel, « avoir son propre site » est important, je pense qu’il est aussi important d’avoir dans le web pleins de petits sites d’associations, de groupes, de petits réseaux sociaux, de communautés et de petits commerces. Par exemple, je considère que la majorité des nodes du fediverse font partie du web indépendant.

De mon côté, je compte les points suivants pour être un site web « indie » : un site web qui n’est pas contrôlé par une grosse corporation et qui ne participe pas au capitalisme de la surveillance. Mais c’est là ou va arriver une question commune, celle de l’auto-hébergement. Est-ce que pour être pleinement indépendant, on doit s’auto-héberger ?

L’auto-hébergement est un privilège

Une idée que l’on voit souvent est l’idée de posséder son propre domaine comme manière de s’identifier. C’est une des idées qui est coeur à des projets comme BlueSky (le « twitter » du fondateur de twitter – qui n’est pas sans reproduire un certain nombre des fautes de Twitter), ou quelque chose de très commun chez les développeurs ou « geek » : posséder un nom de domaine (ou parfois plusieurs) est au coeur de posséder un nom. Et souvent en plus le choix d’extensions (oui je sais ce sont des « top level domains », bla bla bla) rigolotes rendent cela encore plus ludique. Posséder un domaine en .space, .garden, .world peut permettre de faire des noms amusant. A cela souvent s’ajoute l’idée de louer un serveur soi-même, voir de faire de l’auto-hébergement chez soi (notamment grâce à des projets comme yunohost).

Loin de moi l’idée de critiquer ces façons de faire (mes sites et services personnels sont hébergé via yunohost (qui d’ailleurs est un outil idéal pour ce dont je vais parler plus bas), je possède plusieurs domaines, etc), et je pense qu’elles sont très pratiques. Cependant, il faut reconnaitre une chose : ce n’est pas accessible à tous. Les réseaux sociaux privateurs sont mille fois plus accessible que d’héberger son propre site, son instance de Mastodon, son serveur mail. L’auto-hébergement personnel et individuel ne peut pas être donné en solution au soucis des grands services privateur, parce que c’est une solution qui ne sert que ceux qui ont accès à un savoir qui n’est pas accessible à tous.

Le principal soucis de cette approche, c’est qu’elle est individualiste. Pour combattre une grande puissance capitaliste, on met en avant l’idée d’une action individuelle plutôt que de chercher une solution basée sur l’entraide, sur le partage. Ce que je dis cependant ne s’oppose pas aux principes d’un indieweb. Il ne fait que préciser un de ces besoin : l’existence de services indépendants, collaboratif, et qui permettent de sortir des grands silos sans avoir besoin de devenir pro de la gestion de serveur.

Pour un web collaboratif/collectif

Je pense qu’une approche complémentaire à celle de s’auto-héberger est de former des réseaux de solidarité, ou des services indépendant permettant de s’héberger hors des systèmes des GAFAMs. Des alternatives plus indépendantes, libres, laissant plus de place à l’expression personnelle existent déjà, avec des sites comme itch.io pour le développement de jeu, ou des sites comme neocities pour la réalisation de sites « à l’ancienne » (en page HTML « dures »). Le soucis de ce dernier est peut-être le manque d’accessibilité. Mais les sites qui permettent de créer et héberger des sites web existent et des gens partagent cette passion.

En vrai, je pense qu’il nous faudrait mettre en avant les différents systèmes de blogs simples pour les gens voulant juste poster de manière toute bête sur internet, et les différents moyens d’avoir des réseaux sociaux alternatifs. S’il reste les soucis potentiels des silos et trucs du genre, nous avons également besoin de ces sites, puisque sans eux, créer un site web peut être effrayant pour bien des personnes. Je pense qu’il y a cependant une différence à faire entre des sites à la Facebook/Twitter ayant pour objectif d’avoir des centaines de millions voir des milliards de compte et des hosts de site plus réduits en tailles et plus nombreux.

C’est en cela que le Fediverse (composé de Mastodon, etc) offre une première réponse, avec des instances fonctionnant selon ce modèle de réseau de solidarité, pouvant porter la forme de microblogging, de blogs plus traditionnels (WriteFreely, Write.as, Plume), etc. Parmis les CHATONS (Collectif des Hebergeur Alternatifs, Transparent, Ouvert, Neutre et Solidaires), on peut aussi trouver des offres d’hébergement plus locales.

Une dernière option est d’ouvrir cela à des amis, de la famille, etc. Sans forcément faire un grand service « ouvert à tous », je pense qu’un moyen d’aider à avoir un web plus ouvert, indépendant et collaboratif est aussi de proposer à des amis de filer un coup de main pour l’hébergement d’un site, quand on en a la possibilité (c’est ce que je fais : en plus de mes blogs, j’host ceux d’amis ce qui leur permet d’avoir un coup de main). Cela passe d’ailleurs par les mêmes outils dont j’ai parlé plus haut, yunohost par exemple étant parfait pour avoir un serveur collectif offrant des services à un petit/moyen groupe de personne.

Conclusion

Et je pense que c’est là ou on arrive à un point important, que ce soit dans la question du libre, dans la question du « web indépendant », etc. : Ce qu’on peut offrir de différent des GAFAMs, ce qui fait la véritable différence, ce n’est pas des questions abstraites technique telles qu’une licence, tels que du code source, ou le fait qu’on serait de « meilleur qualité ». C’est ce qu’il y a derrière. Un modèle différent, une vision différente, plus solidaire, plus proche. Les LUG (Linux User Groups) locaux, ceux qui aident les personnes quand leur ordi est trop vieux pour le dernier Windows, ceux qui aident quand y’a un truc qui casse, sont un bon exemple de cela.

Je pense qu’un point important à faire aussi, est ne pas prendre la concentration de l’utilisation d’internet dans quelques gros sites web comme une « mort » du web indépendant. Il y a toujours des tas de site web indépendant, ils sont juste difficile à voir à travers la surcouche qu’ont créé les GAFAMs au web, tentant de nous garder dans leurs réseaux (Twitter dévalorisant les liens par exemple). Mais on peut retrouver toujours pas mal de sites qui servent à faire vivre cela, et de sites d’entraides sur le sujet.

Et je pense que de tout cela, on peut tirer plusieurs conclusions importantes :

  • Plus que l’approche potentiellement individualiste de l’auto-hébergement, il faut valoriser la solidarité, l’entraide, de formation de petites communautés ou de petits services plus petits.
  • Il est important d’avoir une bienveillance sur le plan de la connaissance technique : Il faut sortir de nos communautés le pédantisme, la vision de son avis technique comme celui absolu

Il est important de continuer de développer une approche ou les intérêts de ce modèle devienne visible pour toutes les personnes cherchant une approche différente de celles du capitalisme des données. Pour que le web indépendant soit intéressant, nous devons faire en sorte de le rendre intéressant, de donner envie aux gens.

Dans un prochaine article, je parlerais de deux autres notions qui me semblent importantes : des outils nécessaire pour rendre le web indé plus visible, facile d’accès, et du risque du « remplissage d’internet », avec la quantité de site « bloatware » (souvent généré par « IA ») qui existent, et de comment lutter contre, pour notamment mettre en avant un « web humain »

Miniature : Un panier plein de chat, par Léon Charles Huber