Je pense que parmis les mots pouvant bien décrire l’année 2023, en tout cas du côté des services internet, y’a « merdification » (enshittification en anglais). Attention, je précise que je ne dis pas que c’est le pire qu’on a eut dans cette année pleine de montée de l’autoritarisme, de l’extrème droite et où deux guerres (parmis les nombreuses guerres et coup d’état actuels) ont défrayé les chronique.

Cette année, de nombreux services ont décidé de tenter le tout pour le tout pour augmenter leurs revenus, et cela a conduit presque à chaque fois à des expériences utilisateurs plus mauvaises, et des histoires autour du services

C’est quoi cette « merdification »

Le concept vient d’articles de Cory Doctorow, notamment un qui parle de celle de Tiktok, sous sa forme anglaise enshittification, comment le service est devenu plus mauvais à force de chercher à avoir de plus en plus de revenus. Depuis, le nom en français a été en grande partie popularisé par Ploum dans son article « de la merdification des choses ».

Mais quel est ce concept ? C’est comme j’ai décrit plus tôt : l’idée est qu’un service est construit, et qu’au début dans sa phase de « croissance », le service cherche à être populaire et fait donc pas mal de trucs cool ou de qualité pour ses utilisateurs. Le but étant de capter la plus grande base possible. Ensuite, cependant, avec le besoin de faire des revenus, ces services mettent en place des moyens de plus en plus prédateurs de monétiser leur base utilisateur : mettre en place plus de publicités, plus de contenus ciblés, rendre des fonctionnalités avant gratuite payante, supprimer ce qui coûte de l’argent.

Cette merdifications fait partie d’un cycle de vie en « cloche » des produits, puisqu’elle participe à rendre le service moins attractif, jusqu’à ce qu’un autre produit plus tôt dans le cycle arrive et prenne sa place. Comme le dit l’article de Doctorow : « c’est comme cela que les plateformes meurent »

Les services touchés cette années

Twitter et Reddit sont sans doute les exemples les plus connus de cette année. Ce premier, depuis son rachat par Musk, a provoqué toute une série d’article que je ne vais pas répété (j’en ai notamment assez racheté ici). Déplacement de fonctionnalité vers des options payantes, destruction de la modération dans le réseaux (tout en n’hésitant pas à faire taire des critiques), destruction de l’écosystème d’application third-party, et pleins d’autres choses. Du côté de Reddit, c’est le fait d’avoir rendu certaines API payante, et d’avoir aussi détruit l’écosystème d’application. Ces deux éléments ont fait remarqué à pas mal le danger de laisser notre possibilité de communiquer et de former des communautés à des entreprises ayant avant tout pour but de faire de l’argent (même si au final, peu à changé depuis).

A côté de cela, YouTube a lancé une guerre contre les bloqueurs de publicité, qu’ils ont rapidement perdu, mais vont revenir à la charge via l’obsolescence d’API nécessaire aux bloqueurs de publicité (pour continuer de bénéficier d’un internet propre, il faudra passer par Firefox et/ou par des sites third-party).

D’autres services (notamment d’autres services dont la valeur viennent en grande partie des productions de la communauté produisant des contenus dessus) ont subit le phénomène :

• Fandom est dans cette situation, avec plusieurs wiki décidant même de partir de la plateforme à cause de cela, dont le Wiki Minecraft. Les éléments mis en cause contre Fandom sont généralement la quantité de pubs qu’ils injectent dans les wiki, ainsi que des « fonctionnalités » qui rendent la navigation plus désagréable et les pages plus lourdes.
• OpenSubtitles à décidé de limiter fortement ses API aux utilisateurs gratuits en supprimant l’API gratuite de la version .ORG (celle de la .com limité à 20/jours + ads est toujours présente).
• Unity a tenté de changer sa politique de prix par une qui aurait fait payer aux développeurs des frais indexé sur le nombre d’installation, ce qui aurait menacé de nombreux studios indépendants. Ils ont finalement annulé ce changement, mais cela a fait du mal à la confiance de nombreux studios. Cela a notamment fait que beaucoup de studio ont décidé de tenter de soutenir Godot à la place.

D’autres services ont souvent été cité comme des exemples d’enshittification : les résultats Google sont considéré comme devenant de pire en pire à la fois à cause du SEO et des résultats sponsorisés. DeviantART est aussi un exemple assez connu, étant devenu de pire en pire, notamment depuis le passage sous Eclipse et surtout l’arrivée d’une IA générative dans le site.

Qui sont les prochains ?

Si je devais prendre des paris pour les prochains qui vont plonger vites dans ce phénomène, je pense qu’il y aura Bandcamp (dont les prémisses sont déjà là, le service ayant été racheté par une grosse entreprise de vente de droit de musique (Songtradr), et la moitié du staff ayant été viré : cela montre un mépris total de la qualité du service, qui était la meilleurs boutique de musique indépendante). Tumblr ayant une baisse de ses effectifs, je me demande s’il subira ça, ou juste moins d’activités.

J’ai peur pour Discord aussi, qui est de plus en plus utilisé, et va « devoir » devenir plus rentable, ce qui va poser un gros risque. De nombreuses communautés sont devenu complètement dépendante de lui, comme fandom avant. Il commence même pour certains, à mon grand regret, à être utilisé en lieu et place de site. Je communique avec la majorité de mes amis via ce service, et je crains que quand il deviendra de pire en pire, ce sera douloureux.

Comment vaincre la merdification ?

Pour vaincre ce genre de phénomène, je pense qu’il faut agir en communauté, et ne pas céder aux pression individualistes. Ce phénomène arrive lié à une recherche de la rentabilité, et au système capitaliste qui provoque tout cela. Si d’un côté de moi, j’aimerais dire qu’il faut abandonner les systèmes qui font ça et passer aux alternatives, j’ai conscience que c’est pas possible pour tout le monde. Du coup, voici ici différentes pistes que j’ai, qui peuvent se combiner parce qu’il n’y a pas « une » solution, et j’ai pas mal parlé de certaine tout au long de l’année :

• La première est de faire du bruit, et de vraiment les faire chier. Non, juste passer un jour à ne pas utiliser le service ne suffira pas. Ce qu’il faut, c’est qu’ils aient peur et du coup tentent de revert la merdification et de faire comme si rien ne s’était passé. Comme ce qui s’est passé pour Unity. Le soucis avec cette solution c’est que souvent elle ne suffira pas. Mais elle peut se combiner avec d’autres aspects, et tenter de former un tout.
• Contourner ce qui leur rapporte de l’argent, surtout si cette enshittification est liée à ça. Pour des services comme Youtube et tout, c’est aider les adblocker à continuer à adblocker, voir utiliser des interfaces alternatifs (j’ai fait un article sur le sujet ;-)).
• Aider les alternatives gérée de manière communautaire en y participant. Pas forcément abandonner le service enshittifié si on ne peut pas (dans l’idéal, ce serait le meilleur moyen, mais je reconnais que c’est pas toujours facile, genre abandonner YouTube, voilà quoi), mais soutenir les alternatives, essayer d’être présent dessus, même quand elles ne sont pas parfaite techniquement. Le but est double : participer à les faire connaitre, rééquilibrer un peu le rapport de force, et à titre personnel assurer ses arrières. Et je rajouterais aussi : éviter que les alternatives aux grosses corporations soient investie par l’extrême droite. Il ne faut pas leur laisser le monopole des alternatives, les laisser faire croire que c’est eux l’alternative au système actuel.
• Ne pas penser qu’un service sera mieux « parce que eux sont gentils ». Utiliser BlueSky n’est pas une idée saugrenue, mais croire que ça ne risque pas de finir comme twitter (ou de finir pourri à sa manière) est une erreur. Je dirais que même des projets libre, ils ne faut pas leur faire confiance « par défaut », surtout si y’a une entreprise derrière.
• Chercher à adopter autant que possible un web à plus petite échelle, et sous une forme collective, contributive, collaborative.

Je rajouterais aussi qu’il faut faire attention que le terme « merdification » ou « enshittification » ne soit pas repris par des mauvais acteurs. Beaucoup de concepts comme ça peuvent être repris et aliéné par l’extrème droite d’une manière très dangereuse. Ma peur est que des gens commencent à utiliser ce terme pour dire que <insérer communauté ici> n’a pas mis la fonctionnalité que eux voulait, réactive le chauffage via la barre espace, ou (pire encore) tente d’utiliser le concept pour dire que la communauté ne « penserait plus aux bugs parce que trop occupé à faire du politiquement correcte » (j’imagine bien des gens comme Lunduke faire ce genre de chose).

Bref, pour moi, combattre l’enshittification c’est le même combat qu’il faut faire depuis cette année, le mot est juste arrivé pour le décrire :

• Il faut agir en collectif
• Il faut permettre à des alternatives au capitalisme de fleurir
• Agir de manière politique et pas que de manière technologique

Et je pense que pour ma part, ce que je vais faire aussi à partir de maintenant, c’est de plus parler des alternatives, du « petit web », des services communautaires, non pas comme négation des gros services, mais ce qu’ils apportent en tant qu’eux-même. J’aimerais en 2024 avoir une approche plus positive de ces alternatives, plus dire « ceci ça empire, aller vers là », mais plus permettre aux gens voulant en savoir plus sur ces alternatives de trouver des informations. J’ai beaucoup parlé cette année et précédentes des soucis, mais je pense que la découverte devient une approche importante aussi.

Ce n’est pas un secret que le capitalisme fait du mal au monde, et s’il faut parler des soucis, je pense qu’il est important aussi de présenter un nouveau monde au gens. Le conservatisme et le « faut retourner à avant » à toujours l’aventage d’avoir un truc simple à montrer : sa vision fantasmée du « avant ». Mais des alternatives, ce que nous pouvons proposer existe déjà, à petite échelle souvent, et en parler est important (et aussi parler de ce qui peut être amélioré dedans pour le futur).